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L’expertise dans les litiges : une question de preuve

Me Antonio Gutierrez Dratcheva • 3 décembre 2024

Une expertise peut être dispendieuse. Si, dans certains cas, elle avoisine les quelques milliers de dollars, dans d’autres, elle atteint rapidement les dizaines de milliers. Il n’est donc pas surprenant qu’une partie veuille les éviter. Or, s’il est vrai que l’expertise n’est pas toujours requise, son absence dans certains litiges peut entraîner le rejet de la demande / défense. Il est donc impératif d’évaluer la nécessité de recourir à l’expertise dans les premières phases d’un différend.

Partons du principe édicté à l’article 2803 du Code civil du Québec, selon lequel :


2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.


Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

En demande comme en défense, une preuve se doit d’être administrée à l’appui de vos prétentions. Si, par exemple, vous soutenez qu’un contrat de prêt est intervenu avec votre beau-frère, vous produirez fort probablement une copie du contrat pour en faire la preuve. À l’opposé, si vous êtes le beau-frère et que vous soutenez que le prêt a entièrement été remboursé, vous produirez potentiellement vos relevés bancaires et de transfert, faisant état du remboursement de la somme emprunté. En ce sens, il ne suffit pas d’alléguer vos prétentions. Encore faut-il les prouver.

L’article 19 du Code de procédure civile, quant à lui, énonce le principe selon lequel chaque partie est maître de son dossier :


19. Les parties à une instance ont, sous réserve du devoir des tribunaux d’assurer la saine gestion des instances et de veiller à leur bon déroulement, la maîtrise de leur dossier dans le respect des principes, des objectifs et des règles de la procédure et des délais établis.


Elles doivent veiller à limiter l’affaire à ce qui est nécessaire pour résoudre le litige et elles ne doivent pas agir en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive ou déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi.


Elles peuvent, à tout moment de l’instance, sans pour autant qu’il y ait lieu d’en arrêter le cours, choisir de régler leur litige en ayant recours à un mode privé de prévention et de règlement des différends ou à la conciliation judiciaire; elles peuvent aussi mettre autrement fin à l’instance.


Nos soulignements

Cela implique, notamment, que chaque partie décide de la façon dont elle entend mener sa preuve. Dans l’exemple précédent, si vous disposiez d’échanges écrits faisant état du prêt – ou de son remboursement – il aurait également été possible de s’en servir pour soutenir vos prétentions. C’est toutefois à vous qu’il revient de décider ce qui sera mis en preuve. Certes, dans le cas d’un contrat de prêt, cela peut paraître évident. Or, dans des dossiers un peu plus complexes, les éléments qu’il faut prouver et les moyens pour y parvenir peuvent devenir une question plus épineuse.

Prenons un cas de figure pour illustrer nos propos :


Vous êtes propriétaire d’un bungalow, auquel vous souhaitez y ajouter un deuxième (2ième) étage. Vous engagez donc la firme ABC Architectes (ci-après, les « Architectes ») pour concevoir ce projet. Avec les plans et devis obtenus, vous mandatez Entrepreneur Général XYZ Inc. (ci-après l’« Entrepreneur général ») pour réaliser les travaux d’agrandissement.


Cinq (5) ans après la fin des travaux, des infiltrations surviennent au deuxième (2ième) étage de l’immeuble. Le couvreur que vous dépêchez sur les lieux soulève des vices dans l’exécution des travaux et remet en question la conception de la toiture. Il estime que des travaux à la toiture, ainsi qu’à sa charpente devront être effectués, pour un coût total approximatif de 50 000,00$.


Vous entrez donc en contact avec les Architectes et l’Entrepreneur général, lesquels se rendent sur les lieux pour constater la situation. Au terme de leur visite, chacun nie sa responsabilité, estimant que les infiltrations survenues découlent d’un mauvais entretien des gouttières.

Nous avons ici des positions contradictoires quant à un élément crucial : la cause des infiltrations. Or, en connaître la cause vous permettra de déterminer si la responsabilité d’une partie peut être engagée. En effet, si les travaux ont mal été exécutés, votre recours visera probablement l’Entrepreneur général. S’il s’agît plutôt d’une mauvaise conception de la toiture, il visera davantage les Architectes. Dans notre cas de figure, pour identifier la cause des infiltrations – et subséquemment en faire la preuve devant la Cour –, il y aura lieu d’obtenir une expertise[1]. À défaut, votre réclamation pourrait se voir rejetée, en tout ou en partie.

Dans l’affaire Daoulov c. Constructions Pole inc., 2018 QCCS 6142[2], nous avons eu l’occasion de plaider cet argument. Dans cette affaire, le demandeur réclamait la somme de 72 000,00$ pour des travaux à compléter et à corriger sur l’immeuble, ainsi que 20 000,00$ en stress et inconvénients. Malgré l’expertise et les soumissions produits par le demandeur, la Cour rejettera chacune des réclamations. Pour celle qui nous intéresse – la réclamation de 20 000,00$ en stress et inconvénients – la Cour s’exprimera comme suit :

[28]  This Court is wary of appearing to undo what Justice Castiglio ordered. At the same time, the photographs included in Ms. Radenkova’s report eloquently demonstrate the state in which Construction Pole left the project. That being said, it has not been proven whether issues such as the safety exit result from poor plans, which may or may not have been Construction Pole’s responsibility, or from poor execution.

 

[29]  Given this uncertainty, Mr. Daoulov has not proven satisfactorily the stress and inconvenience that he claims to suffer from, nor Construction Pole’s liability.

 

[30]  Mr. Daoulov’s judicial application is dismissed.

             

Nos soulignements

Il est donc avisé de circonscrire dès les premières phases d’un différend si une expertise est nécessaire et, le cas échéant, le mandat qui sera accordé à l’expert. En cas de besoin, vous pourrez communiquer avec un avocat pour qu’il puisse vous assister dans cette évaluation.

La présente n’est pas une opinion juridique et/ou un conseil juridique.

[1] À noter que, dans certains dossiers, des procédures judiciaires sans expertise sont entreprises à l’encontre de l’Entrepreneur général sur la base d’un manquement à son obligation de résultat. Cette question sera traitée dans un article ultérieur.

[2] Daoulov c. Constructions Pole inc., 2018 QCCS 6142 (https://canlii.ca/t/jb7wg)

À propos de l'auteur

Me Antonio Gutierrez Dratcheva est spécialisé dans les domaines du droit immobilier et droit de la construction. Sa pratique est axée sur les matières litigieuses, où il agît à titre d'avocat plaideur. Il donne également des formations et agit à titre de vulgarisateur juridique.

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